Mai/Juin

Mercredi 10 mai
Quatorze années, au jour près, que François Mitterrand dirige notre pays. Quelle que soit la stature acquise par lui, ses qualités d'homme d'état et son épaisseur pour représenter la France, je ne suis pas fâché que l'alternance présidentielle fonctionne.
Le gaullisme, même imparfaitement incarné, est de retour à la tête des institutions. Jacques Chirac proposait la France pour tous, il vient d'avoir l’Elysée pour lui. L'acharnement a payé. Reconnu par ses proches comme un homme délicieux, d'une gentillesse authentique, son bonheur d'être élu aurait presque réjoui ses adversaires. Du haut de ses 1,89m, il n'hésite pas à grimper sur une chaise, à la fenêtre de son immeuble de campagne avenue d'Iéna, pour saluer le bon pôple en liesse.
Quelle sera sa capacité à mettre en œuvre son programme ? Bénéficiera-t-il d'un soupçon d'état de grâce ? La sale habitude des électeurs de dénigrer quelques mois plus tard ceux qu'ils ont portés au pinacle va-t-elle se confirmer ?
Une de mes craintes pour ce nouveau septennat était de voir la France perdre de son rayonnement dans le monde par le manque de représentativité de son nouveau président. Le nombre et la teneur des télégrammes de félicitations adressés à Jacques Chirac par les dirigeants des pays les plus divers rassurent. Seuls quelques états de la communauté européenne eussent préférés Lionel Jospin comme nouvel interlocuteur. Pour le reste, des Etats-Unis à l'Irak, de l’Iran à Israël, de la Chine au continent africain, ce ne sont que des désirs de poursuivre, d'intensifier ou d'améliorer leurs relations avec la France.
Me voilà bien sage et respectueux aujourd'hui. Le seul fait de nous avoir évité sept années de plus en compagnie socialiste mérite un tant soit peu de ménagement.
Après l'euphorie au soir du premier tour, les jospinistes s'étaient presque persuadés qu'une victoire les attendait. Un contentement objectivement injustifiable par ailleurs : le candidat socialiste, bien qu'en tête des prétendants élyséens avec 23 % des suffrages exprimés, rassemble 12 % de moins qu'aux élections de 1988. Certes il n'y a pas d'anéantissement, mais tout de même une sévère dégringolade. Le triomphe des vaincus n'aura pas longtemps résisté. Jospin lui-même a reconnu qu'il aurait relevé du miracle qu'il dépassât Chirac.
Côté perso, rien de bien passionnant. Les examens approchent et je dois limiter les dégâts. Mes projets éditoriaux se figent à l'approche des élections communales. Revu Kate, toujours aussi charmante. Elle envisage de se marier avant la fin de l'année. J'espère qu'elle trouvera un bonheur dans cette union. Pour ma pomme, le grand amour n'est toujours qu'une quête.
Au château, les combats s'intensifient.
Combat contre les saloperies semées par Alice et Leborgne, ce dernier venant d'être mis en faillite. Sans le blindage juridique réclamé par Heïm et mis en forme par Hubert, le château aurait été directement menacé, le mandataire-liquidateur réclamant la mise en vente des parts de la sci que l'épouse Leborgne possédait.
J'ai parfois l'irrésistible envie de débouler chez le couple d'escrocs et, cette fois, sans discussion préalable, de balancer une bonne paire de claques à Alice, et un bon poing dans la gueule fernandé­lienne de Michel.

Combat pour que les libraires et les collectivités locales nous payent ce qu'elles nous doivent (plus de 500 000 F). Combat pour que Hubert devienne conseiller municipal à Au. Combat pour que la propriété resplendisse. Le maître mot de Heïm est de gagner sur tous les fronts. L'adversité doit nous motiver plus encore.

Mercredi 14 juin
Inconsistant comme avant une liquéfaction, je n'écris plus rien d'accrochant. L'existence s'est accommodée des urgences estudiantines, mais plus rien n'embrase mes sens, comme si aucune apothéose n'était en vue, même plus une simple progression. De fatigantes banalités simplificatrices, voilà tout ce qui subsiste de ma prétendue capacité littéraire.
Quelle méthode pour me transcender à nouveau, pour enfin allier profondeur et pertinence de la réflexion à l'incandescence du style vigoureux et dynamiteur ?
Parasité par d'incommodantes réflexions inachevées, je conforte ma dérive improductive. Etranger au bon fonctionnement humain, je chope ça et là quelques bribes revigorantes, sans parvenir à me laisser entraîner par le sens du contact.
Périlleuse analyse pour cerner les fondements de cette déliquescence.
Autre vocabulaire, abandon de certains tics langagiers, maîtrise de concepts trop systématiquement simplifiés. Retrouver ce goût instinctif pour l'effort et l'acquisition de connaissances nouvelles. Cette frange qui colporte son magma est indispensable au surpassement créatif. Ne suis-je productif qu'aux instant sombres de l'existence ?

Jeudi 15 juin
Pour le château, les élections municipales ont suscité une motivation inhabituelle. La liste Au demain que nous présentons a deux objectifs : éliminer de la scène municipale le titulaire du poste de maire depuis vingt-quatre ans, et contrer la liste Vivre à Au du Rotard, archétype du petit beauf obèse et alcoolo. Impossibilité pour nous de concevoir l'installation de cet abêtissant énergumène et de ses compères à la mairie de notre petit village. Nous savions notre ambition salvatrice quasiment irréalisable, tant l'électorat est à son image et se compose pour presque la moitié des membres familiaux ou assimilés. Mais par principe nous tenions à être là. Deux listes pour cent-un électeurs promettaient un dimanche épique.
La veille, dans les rues d'Au, Rotard et un colistier nous interpellent, Hubert et moi. Nous ne cédons pas à la douce tentation de jouer du poing et des lattes avec le bide mou et la tronche hargneuse du pote Rotard. Dommage pour le spectacle préélectoral.
Tout ce bon pôple qui s'étripe et s'insulte au quotidien et qui, pour des raisons purement économiques, se retrouve comme un seul homme pour glisser le même bulletin dans l'urne, c'est pour le moins fendard.
Nous avons sans nul doute gâché leur democrat's party : ils n'ont pas pu, cette fois-ci, déballer les saucissons et ouvrir la gniole dans la salle de vote. Hubert présent comme assesseur, les autres personnes du château se sont relayées deux par deux toutes les heures. Tenus en bride toute la sainte journée, peu de bronchements ont perturbé les votes. Seul le maire nous a offert sa louferie bruyante de temps à autre.
Comme prévu, la liste Rotard s'est imposée à coup de complicités, de menaces et d'injonctions. Rien à espérer du système médiocratique, si ce n'est le règne de la crasse.
Avant même que le dépouillement des bulletins ne commence, je lis au public une déclaration qui annonce clairement la nullité du scrutin. Là encore, le droit s'impose. Score écrasant pour nos adversaires bien entendu. A nous de décider si nous le laisserons exister.
Après ce triste résultat, on peut stigmatiser les faiblesses du système électoral. Le choix des hommes qui exercent un pouvoir délégué ne se fait pas en fonction de leur valeur, mais au prix d'influences douteuses et d'ineptes critères. L'état guerrier pourrait-il chambouler ce parterre de la compromission ? Comme un traumatisme rédempteur, la violence appliquée sans ménagement liquidera-t-elle les salauderies ambiantes, dynamisant l’impotente société républicaine qui s'affaisse jusque dans ses communes ? La rigueur et l'intégrité n'irriguent plus depuis belle lurette les instances de direction. Des mesures radicales ne s’imposeraient-elles pas ?

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